Venue d'un visage (2)
C'est dans la rue, bronche souvent encombrée d'un poumon trop étroit, où tous se suivent, se croisent, où les regards sont portés au pas de charge, où les gestes nagent, se coulent en foule, où tous les passages sédimentent, s'effacent, dans une compression du temps toujours réamorcée, que flottent aussi des accrochages tendres, des liens qui s'aimantent, frottements, flottements des pensées d'altitude. Loin des éloignements qui aspirent le vide, des paroles aiguisées au fer d'une bave toxique, de l'asphalte collante de l'indifférence noire, le suivi de parallèles obtuses et mécaniques, toutes les vitres dures bien martelées autour des sans-coeur, des sans-vue... La rue, une bronche encombrée par le trop plein et le trop vide des rencontres possibles.
Tous les jours je cueille dans les éclats de la vitre quelques morceaux du puzzle des paysages décousus ou déchirés par la ville. Tous les jours je les maintiens là, contre moi, comme des voiles minces où mon regard s'égare. Et tous les jours je cueille, recueille, dans les éclats de la vitre, des fragments de ce visage espéré que ma nuit seule sait assembler depuis longtemps.