copains comme cochons
Copains comme cochons
Copains comme cochons appartient au quinzième groupe de séries. Ce groupe aborde la présence de l'animal dans la ville et traite en particulier de l'univers carcéral ou semi-carcéral des zoos et de celui extrêmement cruel des élevages intensifs. Cette série tente, après une courte introduction sur les représentations négatives dont sont victimes les cochons, de les réhabiliter et de sensibiliser l'opinion pour qu'ils retrouvent leur statut d'animal sensible et respectable.
Pour avoir une vision complète de la démarche suivie dans ce blog, se référer à la page Démarche dans la colonne de droite.
Copains comme cochons
Si le texte d'introduction de la série "Copains comme cochons" est publié dans son intégralité, seule une partie des photographies est présentée ci-dessous.
La forêt se déploie devant lui, régulière, plane, file droit au centre du paysage dans une perspective accueillante, charmeuse. Alors il court, de toutes ses forces, de toute sa joie, goutte la pulsation de l'air, le battement des oreilles, le délié de ses membres. Quelques grognements lancés sur sa piste accentuent son bonheur et il tente d'accélérer, d'aller au bout de la forêt, au bout de l'effort, au bout de lui-même, curieux d'éprouver le total de cette force qui le pousse à la course, de la mettre au défi de grandir encore pour sauter toutes les frontières de l'existence, atteindre le bonheur fou du dépassement et la découverte puissante de sensations jamais éprouvées. Frôler, tourner autour... rebondir sur... les arbres sont ses compagnons, ses complices, ses mentors aussi. Traverser... bousculer... éviter... les buissons sont des camarades de jeu, des êtres qui le stimulent et l'encouragent.
Un galop à sa droite le surprend et le ravit. Il n'est pas seul. Un ami le rattrape, se colle à son flanc et c'est épaule contre épaule qu'ils amorcent la douce descente vers la rivière, l'eau fraiche, les berges humides et boueuses où ils pourront se rouler en mordillant le ciel tout en grognant de joie de se sentir vivre, de jouir de leur souplesse et de leur force, du bien-être de leurs corps roulés et étirés. Le bain de boue est une nécessité heureuse qui s'immisce au plus profond de la peau, des soies, aère, chasse les parasites. Le bourbier est un lieu de grand bonheur abondamment partagé.
Copains comme cochons
Qu'ils courent, sommeillent, se chamaillent ou s'inquiètent pour leurs petits, les cochons sauvages demeurent, peut-être sans réellement en avoir une conscience profonde, satisfaits de redécouvrir au fil des jours le merveilleux de la forêt, l'essence enivrante puisée dans la profondeur des paysages. Ils vivent sur la terre, dans les bois, menés dans leur vie par l'effleurement d'un sentiment qui demeure essentiellement dissimulé, le sentiment de leur fondamentale liberté.
Mais s'il y a le soleil, l'accueil vivifiant et nourricier des bois, aucun effort n'est nécessaire pour débusquer dans les cicatrices de leurs mémoires la froideur de l'hiver, l'appétit carnassier du lynx à l'affut, les courses de mise à mort lancées par les meutes loups ou les hordes de bipèdes chasseurs. Tout n'est pas toujours facile bien sûr, mais face aux difficultés ils savent vivre entre eux, soudés par les liens familiaux, amicaux, capables d'entr'aide aussi, tous menés par une empathie partagée qui les mène et les rassure.
Dans quelles conditions s'est réalisée leur domestication par les Hommes ? Elle aurait eu lieu il y a 10000 ans en Europe lors de la transition des sociétés de chasseurs-cueilleurs vers des sociétés agricoles. Devenus sédentaires les Hommes ont développé l'agriculture, ont construit des bâtiments pour en stocker les productions. Stocks d'aliments et déchets alimentaires ont sans aucun doute attiré les animaux. Pour les cochons sauvages s'est entrevue alors l'opportunité de ne plus retourner le sol à la recherche de racines, de ne plus parcourir la forêt pour en débusquer les graines, les glands, les pousses ou bien quelques charognes. Tout se trouvait devant eux, rassemblé dans quelques bâtisses concentrées sur une faible surface. Des garde-manger avec des portes qui pouvaient s'ouvrir mais surtout se refermer.
Copains comme cochons
La domestication commence par la capture et l'enfermement. S'en suit l'évaluation froide de l'animal, son utilité potentielle pour les humains. Pas de chance pour le cochon, sa viande est appréciée et comme il est facile à nourrir, qu'il grandit et grossit rapidement, se trouve naturellement en bandes ce qui facilite l'enfermement de groupe, qu'il peut aussi être apprivoisé et dominé, il devient une source de viande facilement accessible.
Dès lors le terme de domestication n'est plus adapté pour décrire le sort de l'animal. Très vite, à travers l'Histoire et encore aujourd'hui, il est dépossédé de toutes les particularités de son existence, de son statut d'être vivant, d'être sensible et astucieux, de toutes ses qualités cognitives et émotionnelles, propriétés pourtant largement reconnues de nos jours par l'éthologie.
La domestication s'efface rapidement devant l'exploitation pure et dure de l'animal. La notion de rentabilité dans la production de viande aboutit très facilement à des extrémités. Considéré comme étant une machine à graisse et à protéines il est violemment objectifié par un anthropocentrisme cruel et sans scrupule. Le bout du bout de la cruauté, sans cesse en vigueur au cours de l'Histoire, est atteint avec le développement de l'élevage industriel. L'animal déjà principalement vu comme un objet perd dans ces conditions extrêmes le peu du statut d'animal qui lui restait, s'il lui en restait encore. Les conditions de détention sont horribles : manque de place, de mouvement, fort entassement des individus ce qui augmente le stress et l'agressivité, mauvaise nourriture, absence de lumière du jour, manque crucial de propreté des enclos qui ne sont que très peu nettoyés ; les animaux demeurent et se couchent dans leurs excréments. S'ajoutent à ceci les conditions des longs transports réalisés sans boire, sans manger, entassés dans des camions en pleine chaleur en été ; les modalités d'abattage sont aussi particulièrement cruelles : ébouillantés les uns devant les autres, projetés contre des murs, égorgés sans étourdissement. La liste est longue et tous ces actes sadiques sont, de nos jours, heureusement dénoncés par des personnes de bonne volonté respectueuses du vivant (voir les travaux de l'association L214). Mais il reste tant à faire encore, tant de monde à convaincre, tant de considérations sur la rentabilité à faire remettre en doute...
Copains comme cochons
Pourtant à cet insoutenable tableau de la vision objectifiante des cochons par les Hommes il faut encore ajouter du sordide au sordide, du cruel au cruel. Il faut signaler l'enfermement au plus juste des truies qui ne peuvent pas du tout bouger, condamnées jusqu'à leur épuisement à la production en chaîne de porcelets. Des truie-machines dépossédées de leur existence, de leur statut d'animal à accepter et à respecter. Il en est de même du sort innommable réservé aux porcelets, petits êtres victimes de pratiques particulièrement sanguinaires telles que l'arrachage à vif des dents ou des testicules. A quelle extrémité est parvenue l'exploitation industrielle de l'animal, à quel absolu de son objectification pour ignorer la souffrance éprouvée, la panique, les cris... Une exploitation qui broie, déchire les animaux mais impose aussi à certains ouvriers travaillant dans ce milieu mortifère des conditions particulièrement difficiles, principalement à ceux qui n'ont pas eu d'autres choix professionnels et qui en deviennent victimes, accumulant traumatisme sur traumatisme dus au spectacle de la mort, aux cadences à tenir, aux modes opératoires (David Bertrand in Nos préjugés envers les animaux, psychologie et éthologie, humenSciences, 2024).
A noter tout de même qu'à côté de cette barbarie déguisée en mode opératoire centré sur la rentabilité, l'élevage et l'abattage de l'animal peuvent parfois se réaliser avec un plus de sensibilité, de reconnaissance de l'existence de ses émotions et de ses souffrances. Certains éleveurs parviennent à les élever plus dignement, avec un ensemble de soins réels souvent personnalisés, ainsi qu'à leur donner une mort plus douce, plus respectueuse, en isolant l'animal à sacrifier par exemple, en l'abattant rapidement sur le lieu de sa vie, sans transport, avec un minimum de stress pour lui et ses congénères.