chemin de traverses
Chemin de traverses
La série Chemin de traverses appartient au neuvième groupe de séries. Ce groupe s'intéresse à la présence de la Nature dans le milieu urbain et traite en particulier de la recolonisation par la végétation ou autre élément naturel des zones urbaines délaissées. Chemin de traverses s'intéresse ainsi à la présence de l'herbe parmi d'anciens quais de gare. Ceux-ci sont envahis par une végétation rampante et conquérante mais l'herbe, les arbustes, sont toujours prêts, ici, à recéder aux Hommes les lieux investis, comme s'ils avaient simplement en charge de les conserver en attendant leur retour.
Autre série de ce groupe présente sur ce blog: Boulevard océan
Pour avoir une vision complète de la démarche suivie par ce blog, connaître les liens que présentent les différents groupes de séries entre eux et ceux qui le rattachent au blog "Natures cachées", se référer à la page DEMARCHE dans la colonne de droite.
Le quai les voies éteintes
dans ma main une poignée de pur abandon
particules serrées d'effondrements multiples
sang mêlé des couleurs d'images désossées
un craquement un crissement grave de dents usées
je m'avance sans y penser
le rythme enrayé du quai impose une tension lente de sable lourd
ailleurs le temps passe vite
l'abandon tape fort
craquelle la croûte de la terre de longues gerçures sèches
l'oubli craquant croque
ses dents fines aiguillées par l'horloge
l'histoire tombée du quai s'évapore lentement sans s'envoler
je songe avec patience à la décomposition des choses
au tumulte grondant des vies entrecroisées
les hommes leurs idées leurs paroles
leurs travaux en ce lieu
tout ce qui s'est construit de temps empli de temps gorgé de temps
expansion centrifuge du possible
bang de la big industrie
big bang à croissance explosive
maintenant vrac de bâtiments et de vies d'hommes éparpillés
de machine mortes dans leur métal étouffé de poussières
dissémination désirée ou non dans l'espace éclaté
arrêt net de toute chose
tout le monde descend
l'abandon monte seul
le site laissé là miroir tumultueux du vide dispersé
du sable endormi roule dans ma main
d'empreinte en empreinte de ligne en ligne
je marche tout en suivant le fer
le craquement minéral de cette presque fin du temps
arrêt
avant la grande perte par amenuisement
l'évaporation lente le dessèchement devant lequel tout s'arrête
le temps était présent vif-argent
passé futur au sein de toute chose
dans chaque objet chaque machine chaque rail chaque cailloux
chaque homme chaque effort et cris de gorge du métal et puis...
et puis ce départ cette dislocation
le tout comme un sablier qui se vide perd sa cohérence
chacun de ses grains isolés
dissociation
le temps ce liant constructeur déconstruit toutes choses par son éloignement
mais les plantes
les plantes c'est sûr se sont mises en travers de la route du temps
pour le sauver peut-être le tenir le retenir le rassembler
elles ont dissout le temps
gardé le temps
ses courbes ses élancements
chaque feuille tige l'enveloppe
le berce comme sève vivante
pour un jour lui donner tout
en nourricières
ce temps choyé libéré se dressera visible
redeviendra humain
il sera à nouveau le temps des hommes de leur machines de leurs vies qui passeront là
le long des voies dans le roulement rapide des ans
ce temps-là remettra le fer sur ses rails
son éclat neuf affûté agité réfléchi par le minéral mauve du ballast
il soufflera sur la vie parallèle des traverses
comme ça en rassembleur
je m'avance
les plantes m'accueillent me tracent un chemin
il y a dans leur promiscuité un parfum chaud de terre
une moiteur essentielle alourdit la gravité de toute chose
elles tissent avec attention
dans une vibration qui enveloppe captive
je m'avance jusqu'au point limite
pour être le point limite l'extrême avancée de l'espace
là où l'herbe passeuse de temps commence son retrait
s'efface peu à peu
le vert est en dissolution
don fait aux ocres aux couleurs métalliques
plus loin les hommes
les moteurs en meutes les roues grandes gourmandes
dents de scie qui coupent en ligne droite
le temps debout sur son espace gonfle de futur et d'amas de traverses
le site de part en part
tremble de gris accouche par le fer
crache ses vieux ossements
poussière dilatée comme un poumon
dans les cris les crissements
les vieux rails sonnant maintenant la charge et la vitesse
le temps humain est à nouveau en marche
le quai cette machine de fer lourd secoue ses rides d'une vision de vérin
le présent est ciment entre les choses
construit à grand bruit
creusements mises en tas
exploration renaturation accélération
l'herbe
réduite à l'ombre de ses racines
connaît le piétinement prévu orchestré
par le don au temps
dans l'ingratitude du temps
dans cet ordre posé en tas
je construis une trame
rampe entre les rails les traverses
reptilien dans la souplesse
curieux jusqu'à l'ivresse
je saisis m'empare de cette énergie retrouvée
les sens ont cette faculté de se dissoudre dans les choses
de creuser là où il leur semble être
jusqu'à la fiction d'un futur révélé
glissé entre les rails c'est bien le temps humain que je frôle
son désir de revivre par les travaux des hommes
mon temps humain aussi
mon temps humain
la logique future vrille me joue du cerveau
dans ces faisceaux de rails arrachés replantés dans la terre
c'est mon profil qui se dessine
ma vie qui se montre peut-être telle qu'elle sera
avec ses départs ses précipitations ses aboutissements ses fuites ses manques
ses pointillés persécuteurs
et tout ce vide mauve qui m'environne déjà
le temps humain ce temps humain-là
me poussera à mon tour sur ses rails
coulera ses mécaniques m'imposera sa voie
la reconstruction est en marche
je me vois déjà temps industriel
être-machine lancé dans la course
rattrapé par la course
perdu par la course aussi
ce monde-là bulle active
tambour battant d'un temps croissant par raccourcissement
par compression précipitation
ma respiration courte me fait lorgner
un reste d'herbe morte
le temps
ce temps préservé si longtemps soigné donné
ce temps-là passé au futur proche construira peut-être
sans aucun doute des germes inhumains
reconstruction