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trois fois rien font quatre

Trois fois rien font quatre

28 Août 2013 , Rédigé par Jean-Louis Bec Publié dans #Trois fois rien font quatre

La série Trois fois rien font quatre appartient au seizième groupe. Ce groupe est composée de séries dont la partie écrite comprend un ensemble de contes, d'histoires ou de nouvelles, toutes ayant comme point d'appui une ou plusieurs photographies. La série Trois fois rien font quatre comprend ainsi un ensemble de nouvelles dont le point de départ de chacune se présente sous la forme de trois photographies.

Pour avoir une vision complète de la démarche suivie dans ce blog, se référer à la page DEMARCHE dans la colonne de droite.

 

Trois fois rien font quatre  (extrait limité à une nouvelle)

 

Trois fois rien font quatre
Trois fois rien font quatre
Cadaques 2013

Cadaques 2013

 

Ici l'air est tout chaud, juste sorti du four. Il m'enveloppe, me tient, tend ma peau sur mon corps jusqu'au fond luisant des mouvements. Le minéral chemine en laves trouées et nostalgiques. Une nostalgie de miroir, celle des images perdues, coulures décolorées et déformations chaotiques.

Le chemin cherche l'équilibre dans la tension, rugosité de roche d'un côté, plein de la mer de l'autre. Je suis son silence strié de pointes basaltiques, l'écorchure en tête, la dérive visuelle capturée par l'aquatique.

Quelques détours, des roches nues au soleil, une crique et ses baigneurs, quelques embarcations rêveuses. Des cris aussi. Eclaboussures à langage de mouette. Le chemin toujours, reptile pacifique et rugueux. Tout au bout, l'horizon sans oiseau, raide, immobile, minéralisé, en attente. D'un rosissement du bleu peut-être, d'une cassure dans l'azur, d'un sursaut glacé de l'écume.

La chaleur s'étend, se couche jusqu'au sol, s'endort, endort. Solide, tenace.

Je suis immobile. Seul mon regard résiste, phare de plein jour persistant et sans borne. Il repère. Des restes, des épaves, des vestiges éparpillés, des bouts d'oubli sûrement, des bouts semés peut être, des bouts d'êtres. Des passés, des formes. Des passés en forme d'objets.

Ils sont trois, triangle du bord de mer fermé sur son sens mystérieux. Bermudes d'un récit éventé. Dans le fond d'un creux de roche, un matelas recroquevillé, rayé de tout, fermé sur un corps évaporé. Ses lignes bleues brisées. Empilement d'horizons noués l'un à l'autre.

Presque au dessus de lui, sur un mur pris pour piédestal, un panier. Vide. Un îlot. Un vide guetté par cette volonté de plein qui me guette à mon tour. Car je comble, jusqu'au débordement. Ma tête dans le panier, seule dans ses couches de pensées, ses paysages dépliés en pattes fines et remuantes, parfois sombres.

Un peu plus loin une paire de tongs, solitude à deux portée-haut sur le mur par l'immobilité. Un voyage arrêté, l'égarement de l'ailleurs. Des pas en manque de pas. La hauteur du mur n'y peut rien, c'est la terre qui manque, le sol ; ce sol face à la mer qui s'est dérobé jusqu'à provoquer  leur échouage, épaves perchées solidifiées de lumière et de sel.

Les trois objets sont là, liés dans leur isolement, liés par une même histoire, celle de la perte, de l'abandon, de l'oubli, de la disparition. Ils errent tour à tour en fond de regard, en fond de songes. Je suis le quatrième point d'un carré ou se fond le triangle. Le quatrième point.

Il me semble soudain que je touche là à une géométrie source, celle qui vit et fait vivre. Il me semble soudain, d'une seule vibration marine, saisir le réveil d'un instinct secret et sûr qui m'interpelle. Ils étaient là. Oui, ils étaient là. Trois. Trois voyageurs. Le premier a oublié le sommeil et le rêve aux  lignes bleues. Le second a abandonné appétit et passion qu'il tenait d'une main solide. Le troisième a déposé en offrande à quelqu'une la marche d'une liberté certaine. Trois voyageurs évaporés, trois présents que la mer a gardés, qu'elle me tend. Je m'en saisis, les accueille. Harmonie cardinale de quatre points réunis.

Sur ma peau, la chaleur est un souffle apaisant qui chuchote et me conduit.

 

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