Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Zoom sur zoo

12 Février 2024 , Rédigé par Jean-Louis Bec Publié dans #Zoom sur zoo

Les zoos sont des musées, avec des pièces de musée, des êtres immobilisés, amputés, bâillonnés, entravés. Protégés, alimentés, mais diminués, contrôlés, réduits à la passivité. Des musées avec des objectifs de musée. Instruire, distraire, conserver.

Instruire et distraire reviennent à réunir les conditions nécessaires pour que l'animal soit visible, du moins le plus visible possible par les visiteurs. Qu'ils voient, qu'ils se l'approprient visuellement. 

En considérant l'ensemble des situations auxquelles sont soumis ces animaux, je perçois la dominance de deux composantes. L'ennui dû au vide de leur vie, du fondement de leur vie, est la première. Principalement pour les animaux isolés, ceux qui, observés longuement de loin et dans le calme, présentent un immobilisme tenace et un regard vague, ceux aussi dont l'enclos trop étroit, mais ils sont toujours trop étroits, apparaît dégradé, piétiné en quelques chemins qui attestent du fait de tourner en rond à longueur de temps. L'ennui lourd, obsédant, une dépression marcheuse ou colérique qui engendre des tics, des automatismes creux dans des espaces inconfortables, dramatiquement vides, pour eux, de tout intérêt.

Et à côté de cet ennui renouvelé au fil des jours, une sollicitation tonitruante due à la présence épisodique du public qui, souvent, crie, qui tape le grillage, le plexiglas, qui interpelle, s'excite. Une stimulation qui, loin d'avoir l'air de les distraire, perturbe certains animaux, les inquiète. D'autres demeurent apparemment indifférents, présentent un stoïcisme de circonstance, semblent éprouver une sagesse lasse. Mais, quels qu'ils soient, où pourraient-ils aller eux qui ne peuvent pas fuir ou même parfois se cacher, qui sont là pour être vus, manipuler visuellement. Combien de personnes parmi les visiteurs développent une empathie assez profonde pour envisager une gêne latente, une crainte, un agacement, un plus de tristesse chez l'animal enfermé ?

Au delà de tout ceci, transparaît l'esclavage dans lequel ils sont maintenus. Esclaves de nos distractions, de nos curiosités, de notre fatuité, notre mépris, notre caractère de dominant autoprogrammé et autosatisfait. Tout un ensemble d'approches théoriques, culturelles, mis en place pour justifier, à travers l'exhibition, le manque de respect, le manque de considération, la manipulation des êtres et l'élimination de leur dignité.

Conserver aussi. Conserver les animaux vivants et pour cela les enfermer. Pour protéger.

En premier lieu nous protéger, bien sûr, la conception de l'animal dangereux n'est jamais loin et avec elle le poids des millénaires de peurs ancestrales, même quand elles ne sont aucunement justifiées. Enfermer pour éviter de les abattre, pour jouir en toute sécurité, en toute liberté, de notre supériorité. 

Pour nous protéger de nous-mêmes aussi. Enfermer l'animal représente par extension symbolique enfermer notre part d'animalité, refouler nos pulsions jugées indésirables ainsi que nos réelles origines. Des choix de société dont l'animal est la première victime.  

Enfermer c'est aussi les protéger d'eux-mêmes, de leur réactions, de leur hypothétique sauvagerie, cette tendance animale décrite par les humains comme les conduisant à céder facilement à l'agressivité, à la violence. Une erreur de lecture car la violence demande une telle débauche d'énergie qu'elle est souvent bannie dans la Nature, remplacée par des comportements plus calmes et bien plus signifiants pour eux.

Les protéger aussi de la Nature elle-même, cette mère décrite comme implacable et cruelle si elle n'est pas domptée, diminuée, retravaillée. Une conception qui justifie à elle seule son exploitation, sa destruction, sa mise au pas systématique et mécanique, qui exclut la réflexion et l'envie de la connaissance profonde, l'implication d'un partage basé sur une sereine affectivité et surtout le respect de la vie et de son organisation.

Conserver, enfermer pour sauvegarder. Ce dernier point nait de la volonté de  protéger les animaux des humains et de leur destruction irraisonnée de la Nature, de protéger les espèces en voie de disparition en développant des programmes de reproduction en captivité. Le cercle se boucle.

Si enfermer est né d'un principe de lutte acharnée contre la Nature, sons sens glisse de façon perverse vers la bonne conscience en complétant sa définition par l'ajout d'un objectif noble et généreux à atteindre: conserver la biodiversité. Un peu tardive la reconnaissance du problème de la disparition des animaux libres. Et largement mal adaptée.

Intrinsèquement, on retrouve aussi dans cette approche la conception flottante de l'animal machine, d'êtres à qui suffisent pour vivre de la nourriture et un confort dérisoire. La reproduction s'inclurait dans ces mécaniques de vie. Mais la recherche du partenaire, la séduction, la concurrence et tout son côté émotionnel sont-ils pris vraiment en compte ? La reproduction n'est pas un comportement de survie. Elle est délicate, demande pour certaines espèces une intimité, des conditions particulières pour se déclencher.

Et puis s'il naît des petits aptes à grandir et à se développer que vont-ils devenir s'ils demeurent dans l'enceinte des zoos ? Leurs potentiels physique, émotionnel, cognitif ne sera jamais exploité. On peut regretter, pour nous comme pour lui, qu'un jeune guépard né en captivité pour rester en captivité, ne connaisse jamais la course folle, les émotions données par la vitesse. On peut éprouver de la peine face à cette castration programmée, ce délit d'étouffement dissimulé sous la bonne conscience.

De plus si l'on raisonne en terme d'espèces, si l'on songe en terme d'évolution, en terme de crible de sélection, ces petits donneront-ils des adultes aux mêmes potentialités que leurs ancêtres libres ? Les espèces, en assimilant autour d'elles l'univers du zoo seront-elles toujours les mêmes ? N'y aura-t-il pas, à la longue, au fil des générations, des modifications, des pertes d'adaptations possibles, une certaine simplification des comportements par rapport aux origines ? Bien sûr l'évolution se dirigera vers une autre voie profitable à l'animal dans ce nouvel environnement mais l'animal qu'on souhaitait conserver, protéger, lui n'existera plus.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article